Trente-deuxième réflexion du Professeur Jean-Denis Kasese, Gouvernement d'union nationale et gouvernement issu de l’union nationale : la Constitution contre la primature à l'opposition ou à la Société civile

Tout semble être prêt. Le décor semble être planté comme l'attestent nombre de déclarations. Le Gouvernement Suminwa II, issu de l'Union nationale, semble se profiler, et serait bientôt publié. Ce serait donc un Gouvernement remanié et transformé en un Gouvernement issu de l’Union nationale, qui entrerait incessamment en fonction. Toutefois, une préoccupation majeure traverse les esprits, et complique la lecture de nombre d'analystes, d'observateurs, d'acteurs et de témoins de la vie politique de la RD Congo.
Elle pourrait se résumer en une question centrale, qui est celle de savoir : pourquoi, le Président de la République, Félix Tshisekedi, tout en recherchant la Cohésion nationale afin de rassembler tous les Congolais autour d’une cause noble, n'aurait mieux fait de nommer un nouveau Gouvernement dirigé par une figure de l'opposition ou de la Société civile ?
Même si cette question semble être légitime, cependant, le Président de la République, en tant que le Garant de la Constitution, est appelé au strict respect de celle-ci, et de surcroît, la Constitution demeure au sommet de la hiérarchie des normes.
Aux non-initiés, tout en le soulignant avec force, sachez que, même en cas de formation d'un Gouvernement d'Union nationale et de nomination d'un Gouvernement issu de l’Union nationale, la Constitution ne donne pas au Président de la République, la possibilité de nommer un Premier Ministre venu de l'Opposition politique ou de la Société civile.
Dans notre cas de figure, le Président de la République réélu, Félix Tshisekedi, n'a pas de marge de manœuvre, car, il est à mi-parcours de son deuxième mandat, et que faute de Majorité parlementaire après la proclamation des résultats des élections législatives du 20 décembre 2023, et comme l'exige la Constitution, il avait déjà désigné une Personnalité, en l'occurrence, l'Honorable Augustin Kabuya, à qui il avait confié une mission d'information qui était celle d'identifier une coalition, et que cette Coalition majoritaire existe déjà bel et bien, et continue à soutenir par ailleurs, l'action, le Projet de société du Président de la République, Félix Tshisekedi.
C'est pourquoi, une analyse scientifique basée sur la Neutralité Axiologique, est entrée en lice afin de tenter d'éclairer la lanterne des Congolais.
Ma réflexion
« La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n'est aux faits eux-mêmes, parce que pour elle, se soumettre, ce serait cesser d'être. »
I. Précisions conceptuelles :
Gouvernement d'union nationale et gouvernement issu de l'union nationale
Comme je l'avais souligné et mis en relief dans ma précédente Réflexion, théorisons d'entrée de jeu, ces deux concepts afin d'éclairer la lanterne.
I. 1 Gouvernement d'union nationale
D'entrée de jeu, me semble-t-il, il convient d'enlever l'équivoque en replaçant chaque concept dans son contexte.
On parle du Gouvernement d'union nationale, quand stratégiquement, le pouvoir en place, souhaite intégrer dans la future équipe gouvernementale, un nombre significatif des partis politiques et des leaders politiques de l'Opposition, et des personnes venant de la Société civile, afin de gouverner ensemble d'une manière plus stable, pour des motifs qui pourraient être variés : à titre illustratif, affermir ou raffermir la Cohésion nationale,...
Scientifiquement, on parle donc du Gouvernement d' Union nationale, au moment de sa formation, c'est-à-dire, au moment où le pouvoir en place, en clair, la Majorité présidentielle, est en négociations, en tractations, en consultations, avec des forces politiques de l'Opposition, et la Société civile, afin qu'ils acceptent d'intégrer la future équipe gouvernementale, et cela donc, avant la nomination du futur Gouvernement.
I. 2. Gouvernement issu de l'union nationale
Ce qualificatif convient quand ce Gouvernement d'Union nationale formée, est enfin, nommé par le Président de la République, ensuite publié.
Il est donc impropre de parler du Gouvernement d'Union nationale quand tous les membres du Gouvernement sont nommés et en exercice, car après leur nomination, ils font désormais partie, et cela, automatiquement, du pouvoir en place, c’est-à-dire, de la Majorité présidentielle et de la Coalition majoritaire.
Ce Gouvernement nommé, travaille sur base d'un accord gouvernemental, centré sur le projet de société du Président de la République élu ou réélu, et en fonction, et sur base de certaines orientations délibérées et voulues par des nouveaux partenaires qui ont intégré ledit Gouvernement.
Un Gouvernement issu de l'Union nationale, n'est pas synonyme d'un Gouvernement issu de la cohabitation.
Ici, le Président de la République dont le mandat court toujours, et son Projet de société, priment.
Pour s'en convaincre, dans notre cas de figure, si le Gouvernement Suminwa est remanié, et que le nouveau Gouvernement est formé sur base d'une large ouverture, appelée Union nationale ; on parlera plutôt du Gouvernement Suminwa II, issu de l’Union nationale, et non du Gouvernement d'Union nationale.
Ii. La nomination du Premier Ministre : l'article 78 de la Constitution à la rescousse
L'alinéa 1 de l'article 78 de la Constitution, nous rappelle que :
" Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci.
Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement " (2)
Selon cette disposition constitutionnelle, le Premier Ministre doit donc être nommé au sein de la Majorité parlementaire.
C'est-à-dire, AVANT d'entrer dans ses fonctions de Premier Ministre, en clair, AVANT d'être nommé Premier Ministre, celui-ci DOIT faire partie de la Majorité parlementaire, car c'est là-dedans qu'il sera choisi pour être nommé.
Ici, dans l’esprit du Constituant congolais, la Majorité parlementaire nous renvoie au fait qu’un parti politique a suffisamment des Députés pour constituer, à lui, tout seul, la Majorité au Parlement, plus précisément, à l’Assemblée Nationale, c’est-à-dire, la Majorité absolue ou plus, donc la moitié de Députés +1 = 500/2 + 1 = 251 Députés ( = Majorité absolue) ou plus de 251 députés.
Dans notre cas de figure, cela n'était pas le cas, car la publication des résultats des élections législatives du 20 décembre 2023 par la CENI, nous a révélés qu'aucun parti politique n'avait à lui, tout seul, la majorité absolue de députés, soit 251 députés, ou plus de la majorité absolue, soit plus de 251 députés, à l'Assemblée nationale ;
C'est pourquoi, le Président de la République, Félix Tshisekedi, s'était appuyé sur l'alinéa 2 de l'article 78 de la Constitution, qui stipule :
" Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition" (3)
Ici, dans l'esprit du Constituant congolais, si aucun Parti politique n’a obtenu, à lui, tout seul, la Majorité absolue de Députés, soit 251 Députés, voire plus ; ce qui fut le cas après les élections législatives du 20 décembre 2023,le Président de la République confie à une Personnalité la mission d'information afin d’identifier une coalition et de dégager une Majorité absolue ou plus, au niveau de l’Assemblée Nationale, au motif de permettre au Gouvernement de gouverner d’une manière plus stable.
C'était ainsi que l'Honorable Augustin Kabuya, avait été désigné par le Président de la République, pour remplir cette mission.
C'est ce qu'il avait d'ailleurs fait.
Force est donc de constater qu'à l'époque, aucun parti politique de l'Opposition n'avait rallié la Majorité présidentielle AVANT la nomination du Premier Ministre, pour qu'il soit identifié par l'Honorable Augustin Kabuya, l'Informateur, aux fins de faire partie de la Coalition majoritaire, et peut-être de voir un leader venu de l'Opposition, avoir l'opportunité d'être nommé Premier Ministre.
C'était ainsi que Madame Judith Suminwa Tuluka, faisant partie de la Coalition majoritaire, avait été choisie au sein cette Coalition, et a été nommée Première Ministre.
Cela dit, et de surcroît, l'alinéa 3 de l'article 78 de la Constitution nous rappelle que :
" La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois." (4)
Pour rappel, l'Honorable Augustin Kabuya a été désigné " Informateur" par le Président de la République, Félix Tshisekedi, le 7 février 2024. (5)
Aujourd'hui, nous sommes en début août 2025, donc à une année et demie de sa désignation, et de surcroît, sa mission avait déjà pris fin, et les résultats de celle-ci sont connus, et ont été publiés.
Cela dit, il convient de noter pour les partis politiques de l'Opposition qui auraient accepté de faire partie du Gouvernement qui serait issu de l’Union nationale, et qui serait dirigé par Madame Judith Suminwa Tuluka, même s'ils entreront automatiquement dans la Majoritaire présidentielle et dans la Coalition majoritaire, car ils feront désormais partie du pouvoir, ils ne viendront que se greffer à une Coalition majoritaire qui existe déjà depuis près de deux ans, et qui a été déjà identifiée par " l'Informateur "; une Coalition majoritaire confortable dont le nombre de députés et les noms de députés la composant sont connus, ainsi que les partis politiques auxquels ils appartiennent, identifiés.
Cette Coalition majoritaire confortable, est donc ainsi, la Coalition majoritaire originelle qui accompagne déjà le Président de la République, le Chef de l’Etat, Félix Tshisekedi.
Dans ce même ordre d'idées, les conséquences de cette configuration seront tranchantes pour les partis politiques de l'Opposition et les personnes venant de la Société civile, qui auraient accepté d'intégrer ce Gouvernement, vu que le Président de la République ne désignera plus un nouvel Informateur pour qu'il refasse ce qui existe déjà.
Sa mission a déjà pris fin depuis une année et demie.
Refaire cet exercice, est anticonstitutionnel.
En clair, le Premier Ministre de ce Gouvernement qui serait issu de l’Union nationale, ne pouvait pas ou ne peut pas venir de l'Opposition politique ni de la Société civile.
Ce serait une fraude à la Constitution, en d'autres termes, une grave violation de la Constitution.
Iii. De l'espace constitutionnel pour l'intégration des ministrables venus de l'opposition politique et de la société civile : l'alinéa 4 de l'article 78 de la Constitution à la rescousse
Pour s’en convaincre, mettons en relief l’alinéa 4 de l'article 78 de la Constitution. Celui-ci stipule :
" Le Président de la République nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier Ministre. " (6)
L’alinéa 4 de l’article 78 de la Constitution est très clair !
Il ne donne aucune indication quant à l’appartenance politique des autres Membres du Gouvernement lors de leur nomination.
Force est donc de constater que, cette disposition constitutionnelle, ne lie aucunement la compétence du Président de la République à une quelconque appartenance politique des autres Membres du Gouvernent lors de leur nomination.
Sous cet angle, c’est donc la compétence discrétionnaire du Président de la République qui agit.
Même si dans les usages du Système Politique congolais, le Premier Ministre est appelé à tenir compte de la Majorité parlementaire ou de la Coalition majoritaire lorsqu’il propose les noms des candidats ministrables au Président de la République, aux fins de leur nomination, et cela, afin d'éviter un blocage persistant ou une crise grave lors de la formation du Gouvernement, mais aussi, par la suite, permettre au Président de la République et à son Gouvernement, de faire passer des lois et des réformes au Parlement.
Cependant, ni le Premier Ministre ni le Président de la République, ne sont contraints par une quelconque disposition législative ou constitutionnelle ; c’est-à-dire, qu’aucune disposition législative ou constitutionnelle ne les oblige de choisir les ministrables et de les nommer, exclusivement, au sein de la Majorité parlementaire ou de la Coalition majoritaire.
Même si on peut comprendre que la Majorité parlementaire ou la Coalition majoritaire devra être très bien représentée au sein du Gouvernement pour des motifs techniques susmentionnés ; le Président de la République et le Premier Ministre, sont donc libres, ils ont un réel pouvoir et, un choix réel.
Au finish, le Président de la République peut ainsi, se servir de sa compétence discrétionnaire pour intégrer aussi, dans l’équipe gouvernementale, des personnes non issues de la Majorité parlementaire, de la Coalition majoritaire ou des Partis politiques, car la Constitution lui donne cette possibilité ; et cela, selon les critères que lui et son Premier Ministre, pourraient définir.
S'il le fait, il ne violera aucunement une quelconque disposition législative ou constitutionnelle. C'est ici que le Gouvernement qui serait issu de l’Union nationale, trouve sa légalité.
Scientia Vincere Tenebras (La Science Vaincra les Ténèbres).
Professeur Jean-Denis Kasese Otung Abienda
Professeur à l'Université Pédagogique Nationale (UPN)
Professeur, Chercheur et Collaborateur Scientifique à l'Université Libre de Bruxelles (ULB)
Membre de la Faculté de Philosophie et des Sciences Sociales (ex - Faculté des Sciences Sociales et Politiques / Solvay Brussels School of Economics and Management) de l'Université Libre de Bruxelles (ULB)
Membre de l'Institut de Sociologie (IS) de l'Université Libre de Bruxelles (ULB)
Membre du Centre d'Études de la Coopération Internationale et du Développement (CECID) de l'Université Libre de Bruxelles (ULB).
NOTES ET RÉFÉRENCES
1. Henri POINCARÉ, « Discours : Fêtes du 75ème anniversaire de l'Université Libre de Bruxelles (ULB) », ULB, Bruxelles, le 21 novembre 1909.
2. L’alinéa 1 de l’article 78 de la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006
3. L’alinéa 2 de l’article 78 de la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006
4. L’alinéa 3 de l’article 78 de la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006
5. PRÉSIDENCE. CD, " Le Président Tshisekedi s’est entretenu avec Augustin Kabuya, nouvellement nommé informateur", Publié le 7 février 2024
6. L’alinéa 4 de l’article 78 de la Constitution de la RD Congo du 18 février 2006
7. KASESE OTUNG ABIENDA, Jean-Denis, Droit administratif, UPN, Inédit, Kinshasa,
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