L'impasse de la gauche américaine confrontée à la victoire de Trump.

L'impasse de la gauche américaine confrontée à la victoire de Trump.

(Par le Professeur Patience Kabamba)

 

Lorsqu'on évoque la Gauche, c'est comme si l'on ouvrait la porte à un univers où les partis politiques cultivent les idéaux progressistes, humanitaristes, et prônent l'égalité entre les citoyens d'une nation. La gauche défie l'ordre social en place, renverse les vieilles normes et conteste le pouvoir établi. En Europe, on retrouve une palette de partis de gauche, allant des socio-démocrates aux anarchistes en passant par les radicaux, les socialistes, les communistes et les écologistes.

Le vocable "gauche" trouve son origine lors de la Révolution française, période durant laquelle les députés progressistes se sont installés du côté gauche de l'hémicycle de l'Assemblée nationale. Aux États-Unis, la gauche ne se limite pas au Parti démocrate, mais englobe également plusieurs indépendants partageant des idéaux progressistes sans être affiliés à un parti politique. L'une des particularités de la gauche américaine réside dans le fait que, avec la délocalisation des industries de production et de fabrication, l'économie américaine s'est orientée vers les services et le secteur tertiaire, nécessitant un certain niveau de formation académique.

En transition d'un capitalisme industriel de production de masse à un capitalisme financiarisé, l'éducation revêt une importance cruciale dans la possibilité de trouver un emploi. La faction progressiste aux États-Unis est principalement composée de jeunes et de personnes plus âgées instruites, détenant un diplôme universitaire.

Néanmoins, il convient de noter que la vaste majorité des citoyens américains défendus par les idéaux de gauche présentent un niveau d'éducation inférieur et sont issus de minorités raciales, souvent issus de l'immigration. Douze pour cent de la population afro-américaine a systématiquement exprimé son suffrage en faveur des partis politiques de gauche.

Il en va de même pour la population hispanique nouvellement immigrée qui tend également à voter en faveur des partis de gauche. Les minorités telles que les homosexuels, les transgenres ou les immigrés bénéficient d'un soutien marqué de la gauche américaine.

Lors de l'élection de l'année dernière, un nombre conséquent d'électeurs de tendance progressiste a opté pour le candidat républicain, Donald Trump. La population orientée politiquement à gauche a porté son choix sur un candidat issu du courant politique de droite.

La question épineuse qui se pose pour les partis de gauche est de déterminer s'il convient de se conformer à la tendance migratoire vers la droite ou de demeurer inébranlable en restant fidèle à ses principes. En somme. Que devraient entreprendre les idéologues de gauche si la population qu'ils servent, celle pour laquelle les idéaux progressistes ont été conçus, venait à changer d'orientation ? Quelle est la primauté entre les idéologies et le peuple que l'on aspire à servir ? Une majorité conséquente de mes collègues de tendance progressiste font preuve de lucidité sur ce sujet et ressentent profondément les bouleversements de la société.

En revanche, certains considèrent les individus défavorisés qui se tournent vers la droite comme des individus "stupides" et déplorables, ainsi que l'avait malencontreusement formulé la candidate Hillary Clinton. Je me souviens d'un ami qui me conseillait d'écrire sur le Congo, que je connais mieux, plutôt que sur d'autres régions du globe. Une façon d'exprimer qu'il est prohibé de formuler des critiques à l'égard de la gauche, même si celles-ci sont émises dans le but de favoriser son perfectionnement.

Il se pose à moi une problématique sur laquelle j'aspire à méditer en tant que philosophe et anthropologue. La problématique de la minorité raciale aux États-Unis et son étroite relation avec le parti démocrate. Il est évident que la gauche est antiraciste en raison de ses idéologies progressistes, humanitaristes et égalitaires. Le parti s'engage activement dans la protection des Afro-Américains. Néanmoins, les intellectuels refusent de faire le lien entre le racisme et l'exploitation capitaliste dont ils sont tous victimes.

L'allégorie d'une démocratie capitaliste fondée sur la libre circulation des biens, le travail salarié et l'entrepreneuriat individuel n'a jamais été remise en cause. Je n'ai jamais saisi la démarche qui omet d'interroger le capitalisme lorsqu'on s'engage à combattre les racines profondes du racisme.

Encore aujourd'hui, je ne constate pas la présence de textes de gauche mettant en lumière de manière explicite les liens étroits entre le capital et la race. Tel que souligné par Sylvie Laurent (2024) dans son ouvrage intitulé "Capital et Race", il est impossible de prétendre mettre un terme à la situation d'enfermement dans les ghettos sans reconnaître au préalable que certains individus en tirent des bénéfices. La fraction progressiste aux États-Unis a adopté la première partie de la proposition sans toutefois aborder la seconde partie. Quelle est la raison sous-jacente à cette attitude ?

Il existe deux raisons à cela. La première découle de la nature même de la genèse des États-Unis, basée sur les principes de la supériorité raciale, à savoir l'esclavage des Noirs et la décimation des Amérindiens, ainsi que sur la valorisation capitaliste. Les idéologies progressistes et humanistes de la gauche sont principalement défendues par des individus blancs engagés contre le racisme.

Mes collègues à l'Université Columbia, à l'Université Notre Dame ou à l'Université Utah Valley étaient véritablement des individus blancs engagés contre le racisme. Néanmoins, au sein de la société américaine, il existe un véritable capital que la race vous confère. Le concept de capital racial est une réalité incontournable. Le statut de Blanc en Amérique ne se réduit pas à un simple privilège, il octroie également pouvoir et ressources. Indubitablement, ce capital ethnique est parfois sujet à l'instabilité des sphères sociales. L'une des manifestations de cette instabilité a conduit des individus tels qu'Obama à être propulsés sur le devant de la scène politique.

Tel qu'il est fréquemment observé, une fois accumulé, le capital racial représente une garantie de sécurité matérielle, économique et sociale constamment réinvestie pour l'avenir. Ce patrimoine racial lucratif est au cœur d'une lutte existentielle en Amérique et constitue la principale source des inégalités entre les Blancs et les autres groupes ethniques. Je me rappelle de la réplique d'une camarade de classe à qui je confiais les discriminations dont j'étais l'objet en tant qu'étudiant à Columbia, à New York. Mon collègue m'avait abruptement fait remarquer : "Tu ne possèdes pas la couleur de la peau requise pour évoluer à New York."

La deuxième explication de la discrétion des militants antiracistes concernant le capitalisme et l'exploitation réside dans le fait que la plupart d'entre eux sont des universitaires, imprégnés de la pensée de Bourdieu. Pierre Bourdieu, dans son œuvre intitulée "La Production", ne reconnaissait qu'une seule classe pour soi : celle qui possède la connaissance de ses désirs et des moyens pour les réaliser. Les individus n’appartenant pas à cette catégorie sociale sont à considérer comme des sujets de compassion envers lesquels il est impératif de manifester de la solidarité.

Dans le domaine des sciences sociales académiques, il est admis que les individus noirs ne forment pas une classe à part entière. Ils représentent des individus vulnérables pour lesquels la gauche se doit d'assurer la protection. La première démarche antiraciste devrait consister à reconnaître l'existence d'autres catégories sociales que la classe capitaliste.

La lutte des classes est le théâtre de l'émancipation, cependant elle ne peut être entreprise par ceux qui persistent à croire qu'historiquement il n'existe qu'une seule classe pour soi. Les individus qui abandonnent le parti démocrate ne sauraient être qualifiés de déplorables ; ils forment plutôt une entité en quête de son propre espace d'émancipation.

En qualité de disciple de Franz Boas, je soutiens que la notion de race ne relève pas de la biologie, mais plutôt d'une construction sociale. En réalité, les mécanismes engendrant le concept de race sont issus d'institutions qui régissent selon différentes grammaires raciales ce qui ne serait que des traditions ou des préjugés. L'autorité publique occidentale a réglementé l'accès aux ressources en fonction du statut racial.

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