Le prochain numérique versus le prochain géographique: du face-à-face prémoderne aux réseaux sociaux actuels.

Le prochain numérique versus le prochain géographique: du face-à-face prémoderne aux réseaux sociaux actuels.

(Patience Kabamba)

Il est devenu très courant d’observer un groupe de personnes assises ensemble, sans rien avoir en commun. Chacun s'entretient avec un partenaire lointain sur son téléphone. Cette attitude constitue une rupture anthropologique par rapport aux bonnes manières reçues des parents. Ces bonnes manières consistaient à prêter attention à la personne présente. Une expérience grandeur nature avait été menée en Angleterre. Dans une famille de quatre adolescents accros aux réseaux sociaux ; on a fait venir une famille amie. Curieusement, les enfants ne se sont même pas aperçus de la présence de leurs amis jusqu'à leur départ. D’où la question éthique de savoir qui est mon prochain? Est-ce celui qui se trouve au bout du fil avec qui je cause ou celui qui est présent géographiquement à mes côtés ?

L'histoire du bon samaritain reprise dans la bible incite à se poser une question fondamentale: qui est finalement mon prochain?

L'histoire du Bon Samaritain est une parabole racontée par Jésus dans l'Évangile selon Luc (Luc 10:25-37). Elle raconte comment un homme, attaqué et laissé pour mort sur le chemin de Jéricho, fut secouru par un Samaritain. Alors que deux autres personnes, un prêtre et un lévite, l'avaient ignoré.

Voici le récit détaillé :

Un homme, probablement un voyageur juif, est attaqué par des bandits, dépouillé, battu et laissé à moitié mort sur le bord de la route entre Jérusalem et Jéricho.

Un prêtre juif, voyant l'homme blessé, passa de l'autre côté de la route et l'ignora.

Un lévite, un autre homme religieux, fit de même.

Un Samaritain, membre d'un groupe ethnique souvent méprisé par les Juifs, passa par là. Il fut ému de compassion en voyant l'homme blessé.

Le Samaritain soigna ses blessures, l'emporta sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.

Le lendemain, le Samaritain donna de l'argent à l'aubergiste, lui demandant de continuer à prendre soin de l'homme. Il  promit de rembourser tous les frais supplémentaires.

Jésus posa ensuite la question à un enseignant de la Loi : « Lequel de ces trois, à ton avis, a été le prochain de l'homme attaqué par les brigands ? » L'enseignant répondit : « C'est celui qui a eu compassion de lui ».

Jésus conclut : « Va, et toi, fais de même ».

Qui est donc mon prochain? Celui avec qui je suis assis face à face ou celui qui fait partie de mes “amis” sur les réseaux sociaux et avec qui je “chatte” ?

Dans les sociétés prémodernes, les relations se faisaient face à face. Aujourd’hui, on peut former un groupe sur les réseaux sociaux sans devoir faire quoi que ce soit ensemble. A force de ne plus rien avoir à faire ensemble, c’est la société qui se défait, surtout quand, comme aujourd’hui, elle est soumise à la logique  de l’accumulation capitaliste. La grande différence entre ce que nous étions et ce que nous sommes aujourd’hui, sous la domination totale par le capitalisme, c’est que nous produisions pour reproduire la communauté. On allait à la chasse pour chercher les gibiers que l’on allait manger à la maison avec les voisins. Aujourd’hui lorsque le chasseur trouve un gibier, il le vend, quitte à se nourrir du pondu à  la maison. L’économie était au service de la survie de la communauté, c’est d’ailleurs l’origine même du mot dans sa version grecque oikos, le management de la maisonnette. On produit pour reproduire la communauté. Le plus important ce sont liens sociaux et l’économie servait à reproduire ces liens sociaux. C’est cela que Marx appelle, dans un vocabulaire spécial, la valeur d’usage. Je prépare le foufou pour nourrir ma famille et la garder ainsi en vie. Aujourd’hui, la société est soumise à la logique productive et accumulative capitaliste. On produit pour vendre, pour accumuler davantage. L’économie s’est détachée de la société. Ce qui est devenu central dans nos sociétés aujourd’hui, ce ne sont pas les relations de complémentarités entre les hommes en tant qu’êtres sociaux, ce sont plutôt les rapports d’échange de marchandises. Nous avions des relations qualitatives interhumaines. Elles sont aujourd’hui remplacées par des rapports d’échanges subordonnés à la logique purement quantitative d’accumulation.

L'économie s’est autonomisée et a pris congé de la société qu’elle était sensée reproduire. Il en est de même de l’économie numérique. Elle disloque les relations sociales autant que les activités humaines. Qu’ai-je encore en commun avec la personne qui est assise à côté de moi, qui ne m’adresse pas la parole, mais qui cause avec une autre personne à mille miles du lieu ? Est-ce vraiment mon prochain ? Il est évidemment le prochain géographique, mais le capital qui fournit les téléphones impose un autre type de relation à l'autrui géographique. En fait, le téléphone détruit les rapports sociaux de proximité en faveur d’un ailleurs impersonnels. Le face à face prémoderne avait l’avantage de voir l’autre en face, de le sentir et de communier avec ses désirs et son regard dans une volupté infinie du désir. L’intermédiation numérique ou téléphonique a défait ces types de rapports. La vente et les avancées dans la production des téléphones ont pour but de détruire définitivement les liens avec le prochain géographique. Elles sont dans la logique d’une production qui détruit la communauté pour construire le marché. On ne produit plus pour reproduire la communauté, mais pour le marché. L’économie s’est éloignée de la communauté dans laquelle elle est née et pour laquelle elle a été conçue.

Karl Marx nous dit que le capitalisme va mourir comme il est né. Les hommes et les femmes ont en propres et en exclusivité, le désir infini d’amour et de présence physique. Comme l'illustre ces deux danseurs fortuits. Un soir, sur l’avenue Logec, leurs regards  se sont croisés au cours d'une partie de danse, lors d’une fête. Cette proximité humaine, la sensation de sentir et de toucher l'autre, pas virtuellement, mais physiquement, le fait de se rapprocher, etc.,  ont conduit ces deux danseurs  à se dire finalement  “oui” à jamais. Le capital ne saura jamais détruire cela. Les humains demeurent des êtres d’amour et de désir infini de volupté. Le capital peut tout avaler sauf cet amour qui nous est propre en tant qu’humains.

Il y a des gens qui s’aiment sur les réseaux sociaux, c’est encore la marchandisation de l’amour qui est une sphère particulière non-marchandisable, non-monnayable et non appropriable. L’amour appartient à ce que nous sommes fondamentalement: il est notre ipséité. Le capital ne saura jamais le briser complémentent. C’est la vielle taupe dont parle Marx, et qui surgit toujours. Il ne meurt jamais. Il est la sotériologie humaine face au capital envahissant. Il nous rappelle que le prochain géographique est la condition humaine d’amour et de volupté.

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