Accord de paix entre Kinshasa et Kigali, Entre lueur d’espoir, marché de dupes et pièges de la realpolitik

(Par Bikelebieto Wata Félix, Universitaire, Diplômé en Histoire ancienne et contemporaine, Consultant en Economie forestière & Développement durable)
Les plus optimistes parmi les Congolais l’attendaient comme une panacée mais aussitôt publié l’accord censé stabiliser l’Est de la RDC et le tirer des griffes des prédateurs tapis dans l’ombre, n’en finit pas d’alimenter les polémiques et controverses les unes aussi virulentes que les autres. L’opinion congolaise avait pris date pour mi-juin et tous les regards étaient tournés vers le pays de l’Oncle Sam où se jouait le destin de leur pays, ce géant d’Afrique centrale.
L’annonce a finalement été faite par le Département d’État américain : Les experts gouvernementaux de la République démocratique du Congo et du Rwanda ont paraphé mercredi 18 juin à Washington en présence de la sous-secrétaire américaine aux affaires politiques, Allison Hooker, le texte du futur accord de paix entre les deux pays en conflit armé.
L’accord, qui sera signé lors d’une réunion ministérielle le 27 juin, a-t-on appris, s’articule en plusieurs axes majeurs pouvant se résumer en « 1. Cessation des hostilités, fin des combats ; 2. Mise en place d'un mécanisme conjoint de coordination sécuritaire opérationnel dans les 30 jours après la signature de l’accord avec pour missions : identifier, localiser et neutraliser les éléments armés des FDL; les deux parties doivent coopérer pour vaincre ce groupe armé et leurs affiliés ; 3. Le texte évoque aussi la nécessité de continuer les négociations entre le gouvernement congolais et l'AFC/M23 avec la participation de ce groupe à un dialogue inter congolais ; changement notable le document publié ne fait plus état des préalables antérieurement évoqués par les deux parties ; 4. Sur le plan économique Kinshasa et Kigali s'accordent à lancer ou étendre leur coopération : objectif sécuriser les chaines d'approvisionnement en minerais et mettre en place des chaines de valeur transparentes et formalisées en partenariats si nécessaire avec les USA et les investisseurs américains ; 5. Enfin la signature de l'accord ne réunira pas uniquement les présidents Felix Tshisekedi, Paul Kagame et Donald Trump mais un sommet plus large ouvert à d'autres chefs d'Etats africains comme témoins ou garants….. ».
D’autres dispositions annexes relatives notamment à l’intégrité territoriale, au désengagement, au désarmement et à l’intégration conditionnelle des groupes armés non étatique, le retour des réfugiés et des personnes déplacées internes, l’accès humanitaire, ainsi qu’un cadre pour l’intégration économique régionale renforcé méritent d’être mentionnés.
Le Qatar, engagé dans une démarche parallèle de facilitation avec les États-Unis, a pris part aux discussions afin d’assurer une coordination harmonieuse entre les deux initiatives diplomatiques.
Ce processus complexe et délicat, amorcé par la signature d’une déclaration de principes le 25 avril dernier, a connu une avancée significative grâce à trois jours de discussions approfondies et constructives.
Si la signature attendue de cet accord démontre à suffisance que les efforts diplomatiques en faveur de la paix et de la stabilité dans la région des Grands Lacs viennent de franchir un palier décisif, il n’en demeure pas moins vrai qu’il suscite de nombreuses controverses et interrogations au sein de l’opinion congolaise visiblement très divisée.
Spécialiste en Histoire ancienne et contemporaine, nous nous livrons à un exercice critique d’éclairage stratégique rigoureux mettant en évidence les failles, les non-dits et les enjeux géopolitiques autour des cinq points que voici :
1. Sur la “cessation des hostilités” : un langage creux sans engagements clairs
L’expression « cessation des hostilités » et « fin des combats » est une formulation diplomatique générique qui masque l’absence d’exigence concrète et vérifiable : aucune mention explicite du retrait des troupes rwandaises (RDF) des zones occupées dans l’Est du Congo, notamment à Rutshuru, Bunagana ou Masisi et moins encore dans quel timing sans non plus évoquer le mécanisme de monitoring sur le terrain.
Cela ouvre la voie à un statu quo militaire sous couvert d’un cessez-le-feu : un gel du conflit favorable au Rwanda, consolidant ses gains territoriaux et son influence.
Observation critique : Ce silence tactique sur les détails du retrait militaire dénote une volonté de légitimer de facto et prolonger une présence armée étrangère compromettante sur le sol congolais. C’est une concession majeure, dangereuse pour la souveraineté nationale.
2. Le “mécanisme conjoint” contre les FDLR : le faux prétexte réchauffé
Bis repetita. L’idée d’un « mécanisme conjoint de coordination sécuritaire » avec mission de neutraliser les FDLR est une redite des processus de 2009 (Accords de Nairobi et de Goma). Ce narratif sécuritaire autour des FDLR a toujours servi de paravent à l’interventionnisme rwandais. La nouveauté n’est que formelle.
Failles principales :
- L'identification et la localisation des FDLR sont connues depuis longtemps et avaient été circonscrites. En son temps en 2009, l’armée rwandaise avait été autorisée d’entrer sur le territoire congolais et y avait réalisé des opérations de nettoyage des poches de FDLR. Toute menace d’envergure semble avoir été écartée. Dans l’hypothèse où subsisteraient des poches résiduelles, celles-ci constituent désormais un prétexte plus qu’un acteur réel de déstabilisation contre le Rwanda.
Question essentielle : Qu’est-ce qui expliquerait le traitement asymétrique sur la question des groupes armés ? Pourquoi en territoire congolais dans le cas de groupes pro-rwandais comme le M23, on insiste sur la nécessité de dialoguer avec leur possible intégration conditionnelle au sein de l’armée congolaise sans par exemple parler de leur éradication ou accorder le droit de poursuite à l’armée congolaise en cas de repli dans des bases arrière situées dans les pays voisins ?
A contrario, pourquoi se focaliser uniquement sur l’éradication des FDLR dont personne ne détient formellement les preuves d’existence avérée alors que les agressions évidentes les plus récentes et la déstabilisation avérée d’un pays, la RDC dans le cas d’espèce, sont clairement attribuées à l’AFC/M23 qui visiblement bénéficient d’un traitement de faveur ?
3. Dialogue intercongolais avec AFC/M23 : une légitimation politique camouflée
Faire participer l’AFC/M23 au dialogue national revient à blanchir un groupe armé responsable de massacres et de déplacements massifs de civils. Le texte de l’accord semble installer une symétrie politique entre un gouvernement légitime et une rébellion armée instrumentalisée par Kigali, ce qui pourrait déstabiliser davantage le jeu politique congolais en créant des précédents.
Danger sous-jacent : cela ouvre la porte à la future intégration des cadres de l’AFC/M23 dans les institutions (armée, gouvernement), un scénario déjà vu après les accords du CNDP/M23 de 2009–2013 avec les conséquences désastreuses que l’on connaît.
Peut-on s’étonner de la position du Prix Nobel Dr Mukwege qui dénonce un accord marqué par le sceau de l’impunité ? A en croire la clameur publique, ces critiques semblent rencontrer l’assentiment de Congolais dans leur majorité écrasante.
Visiblement, au regard des zones d’ombre qu’elle laisse entrevoir et de nombreuses interrogations qu’elle suscite, si l’on n’y prend garde, cette mouture d’accord préliminaire ressemblerait au cautère sur jambe de bois.
En effet, que peut-on construire de solide en faisant clairement l’impasse sur l’agression du territoire congolais, le soutien du Rwanda au M23, ou sur l’absence de justice pour les crimes commis dans l’Est de la RDC ?
Un accord qui passe sous silence les massacres de masse à grande échelle, les viols de masse, les millions de déplacés peut-il être viable ?
Peut-on construire une paix solide sur pied d’un accord qui a vocation à blanchir les crimes du passé au bénéfice d’une paix fragile fondée sur la cogestion de nos ressources minérales, nos parcs nationaux avec en prime aucune sanction sur la responsabilité du Rwanda au sujet de plus 12 millions de morts Congolais ?
Quid de la Résolution 2773 du Conseil des Nations Unies qui exige le retrait immédiat des troupes rwandaises du territoire congolais presque laissé dans les tiroirs ?
4. Coopération économique “USA-compatible” : sécurité ou mainmise sur les ressources ?
L’objectif affiché de « sécuriser les chaînes d’approvisionnement en minerais » et d'établir des chaînes de valeur transparentes est présenté comme un progrès. Mais dans les faits, cela entérine une forme de tutelle économique partagée entre Kigali et Kinshasa sous le parrainage des États-Unis.
Problème majeur : dans un contexte d’occupation militaire de facto, parler de coopération économique est une manière d’officialiser le pillage sous forme “légalisée”, sous couvert de rationalisation du commerce des minerais stratégiques.
Point d’alerte : cette approche néglige la souveraineté économique congolaise, qui se voit externalisée au profit de multinationales américaines et d’un partenaire agresseur.
Clairement, les Américains n’ont qu’exhumer la vieille recette Sarkozyenne du 17 février 2009 soutenue devant le Parlement basé sur la mutualisation des espaces et des richesses de la RDC avec le Rwanda.
5. Sommet élargi avec garants africains : la stratégie de dilution de responsabilité
Faire intervenir d'autres chefs d'État africains comme “garants” a pour but de donner à l’accord une légitimité politique régionale, mais cela dilue aussi la responsabilité directe du Rwanda. Le danger ici est de transformer un conflit d’agression en crise régionale multiforme, avec des garants qui auront peu de pouvoir contraignant.
Critique centrale : cela sert aussi à désamorcer les critiques internes en RDC, en présentant l’accord comme validé par l’Afrique. Une imposition diplomatique camouflée en initiative consensuelle.
Conclusion : Accord de paix ou capitulation géostratégique ?
Ce projet d’accord, s’il se matérialise tel qu’il est esquissé, ressemble moins à un traité de paix qu’à une manœuvre diplomatique d’endiguement, où la RDC accepte des pertes géostratégiques majeures (justice, ressources, souveraineté) contre des promesses de stabilité sécuritaire et de gains économiques incertains.
La critique principale est l’absence de contreparties concrètes du côté rwandais et la reconduction de schémas ayant échoué par le passé. A plusieurs égards, il apparait sans l’ombre d’aucun doute que tout semble ficelé pour protéger Kigali qui a longtemps joué le rôle d’un proxy fidèle.
Côté congolais, il est urgent d’injecter une mémoire historique et une lecture stratégique critique dans les cercles de négociateurs congolais pour éviter les erreurs du passé.
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