La dignité humaine ne se négocie pas, même face au crime.

La dignité humaine ne se négocie pas, même face au crime.

(Par Jonas Tshiombela, Avocat du Peuple)

 

Un acte de professionnalisme terni par une faute morale

Kinshasa, 19 Octobre 2025.Nous saluons avec respect et reconnaissance le professionnalisme des forces de l’ordre qui ont su, avec courage et sang-froid, éviter un drame lors du braquage de la RawBank à Kinshasa. Leur réactivité a permis d’éviter une perte en vies humaines et de neutraliser les présumés auteurs de cette attaque. Ce mérite doit être reconnu et encouragé, car la mission de sécurité publique reste une tâche difficile et périlleuse. Cependant, ce geste louable a été terni par un acte d’une gravité morale et juridique inacceptable : l’exposition publique, nue et filmée, d’une femme arrêtée, soupçonnée d’implication dans le braquage. Cette scène, diffusée sur les réseaux sociaux et partagée par des milliers d’internautes, constitue une atteinte flagrante à la dignité humaine, valeur suprême et intangible protégée par notre Constitution.

La dignité humaine : un socle intangible du droit congolais

La Constitution de la République Démocratique du Congo, en son article 16, est sans ambiguïté : « La personne humaine est sacrée. L’État a l’obligation de la respecter et de la protéger. Toute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique et à la dignité. Nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. ». Cet article fonde la primauté de la dignité sur toute autre considération, y compris la répression du crime. En d’autres termes, même un individu suspecté ou convaincu d’un acte criminel ne perd pas son droit à la dignité. L’humiliation publique, la nudité forcée et la diffusion d’images portant atteinte à la pudeur ou à la réputation d’une personne constituent des violations manifestes de cette disposition. En outre, le Code pénal congolais sanctionne les atteintes à la pudeur et à la vie privée. L’article 67 du Code pénal livre II dispose que : « Sera puni, celui qui aura, par des actes ou paroles, commis un outrage public à la pudeur. ». Filmer et diffuser une femme nue, même en situation d’arrestation, tombe sous cette infraction.

Le droit international à l’appui de la dignité

Au-delà du droit national, la RDC est partie à plusieurs instruments internationaux protégeant la dignité humaine, notamment : La Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) : son article 5 stipule que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »,Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, 1966), article 10:« Toute personne privée de liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine » ; La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (1981), article 5 : « Tout individu a droit au respect de sa dignité inhérente à l’être humain et à la reconnaissance de sa personnalité juridique». Ces instruments, ratifiés par la RDC, font partie intégrante du droit congolais conformément à l’article 215 de la Constitution, qui consacre la supériorité des traités internationaux régulièrement ratifiés sur les lois internes.

Une faute morale et institutionnelle

La diffusion d’images d’une femme arrêtée et nue ne peut être considérée comme un simple incident. Elle constitue une faute morale et institutionnelle grave, engageant la responsabilité de ceux qui ont filmé, publié ou autorisé la diffusion de telles images. Cette attitude renvoie à une culture de l’humiliation, incompatible avec un État de droit. Elle trahit le serment des forces de sécurité, qui ont pour devoir non seulement de protéger la société, mais aussi de respecter les droits fondamentaux de toute personne, y compris des suspects.

Justice oui, humiliation non

La justice doit être rendue, mais dans le respect absolu de la loi et de la dignité humaine. La gravité du crime allégué ne justifie jamais la négation de la dignité. Une société qui tolère l’humiliation publique au nom de la justice prépare la barbarie et affaiblit la confiance des citoyens dans les institutions. Les forces de l’ordre sont appelées à plus de professionnalisme, non seulement dans la neutralisation des criminels, mais aussi dans la gestion humaine, éthique et légale des personnes arrêtées. La formation continue en droits humains, en déontologie policière et en communication en situation de crise doit être renforcée.

Pour une République de justice et de respect.

Le respect de la dignité humaine n’est pas une option morale : c’est un impératif constitutionnel. La RDC, en se voulant un État de droit, doit montrer que la justice n’est pas synonyme de vengeance publique. Il revient au Parquet général, à la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) et au Ministère de la Justice d’ouvrir une enquête sur cet acte et d’en tirer toutes les conséquences légales et disciplinaires. La République ne peut se construire sur l’humiliation de ses citoyens. Elle se bâtit sur la justice équitable, la protection de la dignité humaine et le respect des droits fondamentaux, même dans les circonstances les plus critiques.

Conclusion

En saluant le professionnalisme des forces de l’ordre lors du braquage de la RawBank, nous lançons un appel solennel : ne laissez pas l’humiliation entacher la justice. Une société véritablement civilisée se reconnaît à sa capacité de traiter l’être humain avec respect, même quand il a fauté. La dignité n’a pas de condition. Elle est le socle même de l’humanité. Et c’est à ce titre que l’État congolais, ses institutions et ses citoyens doivent s’en faire les gardiens intransigeants.

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