L’essor des plateformes numériques et la requalification des relations de travail en RDC : enjeux, limites et perspectives de réforme

L’essor des plateformes numériques et la requalification des relations de travail en RDC : enjeux, limites et perspectives de réforme
(Par Me Joël Baruani Nyembo, Avocat près les Cours d’Appel de Kinshasa/Matete et du Lualaba ONA 17501)
 
Introduction
L’économie numérique, marquée par la prolifération des plateformes collaboratives telles qu'Uber, Glovo, ou encore des applications de freelance, bouleverse profondément les formes classiques de relations de travail. En République Démocratique du Congo (RDC), ce phénomène prend de l’ampleur sans cadre juridique spécifique, exposant les travailleurs à une précarité croissante.
L’enjeu central réside dans la requalification des relations de travail : ces travailleurs sont-ils de simples prestataires indépendants ou devraient-ils être reconnus comme salariés bénéficiant de la protection du Code du travail ?
Cet article interroge l’aptitude du Code du travail congolais de 2002 à encadrer ces nouvelles formes d'emploi, tout en proposant des pistes de réforme inspirées des pratiques belges et françaises.
L’encadrement juridique des relations de travail face aux plateformes numériques en RDC
En droit congolais, l’article 6 du Code du travail de 2002 définit le contrat de travail comme « une convention par laquelle une personne s’engage à mettre son activité professionnelle moyennant une rémunération sous la direction et l’autorité d’une autre personne ». Ce critère de lien de subordination reste déterminant.
Or, dans les plateformes numériques, la frontière est floue : les travailleurs (chauffeurs, livreurs, indépendants du numérique) utilisent leur propre matériel, organisent leur temps, mais restent soumis aux algorithmes, aux sanctions automatiques, aux notations, et aux directives des plateformes. La jurisprudence congolaise reste encore silencieuse sur cette problématique, contrairement à d'autres pays.
Les failles du Code du travail congolais de 2002 face aux nouvelles formes d’emploi
Le Code congolais du Travail, bien qu'encore fonctionnel, a vieilli et est inadapté aux dynamiques actuelles du marché du travail. Parmi ses faiblesses :
- Aucune reconnaissance du travail indépendant dépendant (ex. : autoentrepreneur lié économiquement à une plateforme).
- Absence de statut hybride entre salarié et indépendant.
- Faibles garanties sociales pour les travailleurs non reconnus comme salariés.
Ce vide juridique permet aux plateformes d’éviter leurs obligations sociales, fiscales et professionnelles, au détriment de la protection des travailleurs.
Réflexion comparative avec les standards belges et français
En France, la jurisprudence de la Cour de cassation (ex. arrêt Take Eat Easy, 2018) a déjà requalifié certains livreurs comme salariés, en se fondant sur l’existence d’un lien de subordination algorithmique.
En Belgique, plusieurs rapports plaident pour un statut intermédiaire et la mise en place de critères de requalification, notamment : la dépendance économique, le pouvoir disciplinaire de la plateforme, ou encore l’intégration du travailleur dans une organisation stable.
Ces États reconnaissent l’émergence de formes de subordination nouvelles et adaptent progressivement leur droit.
Propositions de réformes pour un droit du travail congolais modernisé
Voici quelques propositions concrètes pour réformer le Code du travail congolais :
- Modifier l’article 6 pour élargir la notion de subordination, en y intégrant le pouvoir de contrôle algorithmique et la dépendance économique.
- Créer un nouveau statut juridique : celui du "travailleur de plateforme", avec des droits sociaux minimums (assurance maladie, sécurité sociale, rémunération minimale).
- Établir des critères clairs de requalification par voie de décret ou jurisprudence.
- Renforcer les missions de l’Inspection du travail en matière de plateformes numériques.
- Instaurer une présomption de salariat lorsque certains indicateurs de subordination sont réunis, comme en Espagne ou en Californie.
Ces réformes rendraient le droit du travail congolais plus protecteur, plus flexible et plus attractif à l’échelle internationale.
Conclusion
L’économie numérique offre des opportunités, mais aussi de grands risques de précarisation si le droit ne suit pas. En RDC, l’enjeu de la requalification des travailleurs de plateforme est majeur : il s’agit de protéger des milliers de travailleurs tout en accompagnant l’innovation. Un Code du travail rénové, inspiré des pratiques européennes tout en étant adapté au contexte congolais, s’impose avec urgence.
Le juriste congolais, au croisement du droit social, du numérique et de la justice sociale, a un rôle central à jouer dans cette évolution.
o  Bibliographie
Sources légales et réglementaires
- République Démocratique du Congo, Code du travail, Loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002.
- France, Code du travail, version consolidée 2024.
- Belgique, Code du travail belge (extraits du droit social et économique), SPF Emploi.
Jurisprudence
- Cour de cassation française, chambre sociale, arrêt du 28 novembre 2018, n° 17-20.079 (Take Eat Easy).
- Tribunal du travail de Bruxelles, 2021, Jugement relatif à la requalification d’un travailleur Deliveroo.
- Cour de justice de l’Union européenne, arrêt Uber Systems Spain, C-434/15, 20 décembre 2017.
Doctrine et rapports
- Goudelin, A. (2020). Travailleurs des plateformes : entre indépendance et subordination. Dalloz Actualité.
- Commission européenne (2021). Proposition de directive sur les travailleurs des plateformes numériques.
- Ministère belge de l’Emploi (2022). Travail via plateformes numériques : analyse et recommandations.
- Kayembe, J.-P. (2019). La modernisation du droit du travail en RDC : enjeux et perspectives, Revue congolaise du droit social, n°12.

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