Les Congolais constituent-ils un peuple de l’espace ? L’antinomie dialectique entre l’espace et le temps.
(Par Patience Kabamba)
Le présent MDW s’ouvrira sur deux propositions. L’une affirmative et l’autre négative. Il convient tout d’abord de rappeler que les MDWs visent à rétablir des espaces propices à l’émergence de rencontres, au dialogue et à la critique, afin d’ouvrir la voie à des parcours qui incarnent une radicalité de jouissance.
Je ne souscris pas à l’idée d’un déterminisme culturel. Un individu ne se comporte pas de façon spécifique du seul fait de son appartenance à un espace culturel déterminé. Il est communément affirmé que le Muluba est vantard ; le Mukongo se caractérise par son avarice ; le Mushi fait preuve de ruse ; le Nande est constamment en quête de profit ; un Muyaka se montre conflictuel, tandis que le Musanga est craintif et le Mubemba, dominateur, etc.
L’ensemble de ces éléments constitue ce que je désigne comme un déterminisme culturel dépourvu de fondement scientifique. Par conséquent, je ne puis y accorder foi. Cependant, dans le cadre de l’investigation des causes fondamentales des événements actuels au Congo, j’ai jugé pertinent d’examiner le texte de Hegel relatif à la philosophie de l’histoire, les écrits d’Engels dans la Gazette radicale concernant l’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, ainsi que l’Introduction de 1887 rédigée par Karl Marx, sans omettre le Manifeste communiste.
À travers ces écrits de Hegel, Marx et Engels, le lecteur saisit qu’au sein de l’histoire mondiale se manifeste une antinomie ainsi qu’une dichotomie radicale entre le temps et l’espace. Selon ces auteurs, il existe des peuples de l’espace ainsi que des peuples du temps. Le peuple de l’espace se reproduit à l’infini et sa particularité réside dans la surdétermination de l’espace. Il n’existe aucune dimension temporelle. La structure sociale du peuple de l’espace demeure inchangée en raison de l’immobilisme inhérent à sa forme étatique centralisée et despotique. Dans ce cadastre territorial de l’espace, les populations vivent sous un despotisme paraétatique du tribalisme collectif, lequel se révèle incapable de générer une intentionnalité historique. Les Congolais résidant au sein d’un État centralisé de nature despotique correspondraient à cette définition de peuple de l’espace. Les Congolais constituent ainsi un peuple qui se perpétue indéfiniment au sein d’une formation sociale demeurant intacte dans l’espace. L’espace exerce une influence prépondérante sur le temps. De génération en génération, les Congolais se perpétuent ; nos villages demeurent inchangés depuis des siècles, la houe étant employée comme outil agricole depuis le Néolithique ; la version actuelle de cet instrument remonte au VIIe millénaire avant Jésus-Christ. Nous appartenons aux structures sociales qui demeurent immuables face au passage du temps. Il n’existe aucun temps en tant qu’intentionnalité historique, en tant que rupture, ni en tant qu’ouverture.
Les Grecs conçoivent le temps comme une ouverture, un parcours d’ouverture, de désir, de volupté, d’histoire et de conscience qui autorise, par l’irrigation de la formation sociale, à transcender cette dernière dans un autre mouvement propre à la formation sociale.
Ces phénomènes ne se manifestent qu’au sein d’une formation sociale organisée selon la détermination de la temporalité et non de l’espace. Nous évoluons au sein de structures sociales où l’espace contraint le temps. Il est par conséquent inconcevable de transformer profondément la situation du pays, en raison d’une surdétermination de l’espace sur le temps, laquelle constitue une remise en question fondamentale de l’être même. En d’autres termes, les choses demeurent immuables chez nous en raison du surdéterminant de notre formation sociale, à savoir la dialectique des forces productives au sein des économies des politiques étatiques congolaises de collectivisation, laquelle instaure une docilité perpétuelle interdisant au temps de se manifester comme mobilité interrogative, transgression ou renversement.
En tant que philosophe et anthropologue, il m’apparaît que la spécificité congolaise réside dans la surdétermination de l’espace. Il paraît qu’aucune notion de temporalité ne soit présente. D'une génération à l'autre, les Congolais en tant que formations sociales demeurent immuables. Le temps ne se manifeste pas en tant qu’intentionnalité historique, ni en tant que rupture ou opportunité. Le temps envisagé comme une fracture revêt indubitablement un caractère révolutionnaire. Si nous étions une nation façonnée par le temps, et non excessivement déterminée par l’espace itératif, ce pays aurait déjà été transformé. Nous sommes le peuple d’un espace réitératif dépourvu d’ouverture dialectique vis-à-vis d’une formation sociale susceptible de provoquer un mouvement, une transgression ou un renversement. Les dynamiques au Congo évoluent en raison d’une formation sociale qui s’est constituée à partir d’une surdétermination de la temporalité par rapport à l’espace.
Il convient que nous nous transformions en formations sociales où l’espace ne contraigne pas le temps. Le temps consacré à un questionnement radical doit, au contraire, inverser l’espace.
Dans une analyse sociale susceptible d'élargir le champ historique, c’est-à-dire dotée d’une intentionnalité historique concernant les villages congolais où l’espace n’est pas comprimé par le temps, aucune évolution ne surviendra au Congo ; on se contentera d’attendre l’avènement du prochain despote.
Ma question porte sur la nature de notre régime: s'agit -il uniquement d'une dictature tribale où les choses sont restées figées depuis des siècles ? Les peuples engendrent les nations, lesquelles forment un peuple homogène susceptible de donner naissance à un prolétariat combatif. Quand verra-t-on l’émergence d’un prolétariat engagé dans la lutte au Congo ? Jamais, car nous sommes un peuple de l’espace qui se doit de subir avec docilité les réalités de la vie afin de ne point troubler cet espace. Cette posture antirévolutionnaire est qualifiée de « résilience ».
En définitive, en raison de l'absence d'une temporalité radicale susceptible de perturber, bouleverser et renverser, les Baluba, Bakongo, Bashi, Bayaka, Yira, Basanga et Babemba sont demeurés chacun dans leur cadastre territorial respectif, sans intentionnalité temporelle au sein d'un temps clos du territoire abrouti.
La révolution communiste constitue la discontinuité temporelle la plus profonde. La seule chose qui intéresse le MDW, c’est l’urgence communiste de l’émancipation humaine !



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