Procès Mutamba : comment Alingete a orchestré l’ouverture d’un compte illégal pour capter les fonds du FRIVAO ?

Procès Mutamba : comment Alingete a orchestré l’ouverture d’un compte illégal pour capter les fonds du FRIVAO ?

(Par Rhodes Masamba, Journaliste indépendant)

Alors que la RDC célébrait un moment historique avec le versement par l’Ouganda de 195 millions de dollars en réparations de guerre, une toute autre réalité se mettait en place, en coulisse. Ce qui aurait dû être un jalon de justice pour les victimes congolaises s’est transformé en chantier de prédation institutionnelle. A la manœuvre : Jules Alingete, ex-inspecteur général des finances, et Constant Mutamba, ancien ministre de la Justice. Ensemble, ils auraient monté une opération soigneusement huilée pour détourner une partie de ces fonds. Le procès Mutamba, dont la reprise est attendue le 23 juillet prochain, n’est que la première secousse d’un scandale potentiellement dévastateur. Il révèle une collusion active entre le contrôleur des finances publiques et l’exécutant politique, sur fond de faux projets, de comptes illégaux, et de violations flagrantes des lois congolaises.

Un procès qui expose un système

Ouvert à Kinshasa le 9 juillet, le procès de Constant Mutamba dépasse le cas isolé de l’ancien ministre. Il met à nu le dysfonctionnement structurel de la gestion du Fonds FRIVAO, chargé de recevoir et redistribuer les indemnités ougandaises aux victimes.

Mutamba est accusé d’avoir attribué un marché public, sans appel d’offres, à une entreprise sans adresse ni personnel, créée avec un capital dérisoire de 5.000 dollars, pour la construction d’une prison fictive à Kisangani. Avec un montant du contrat qui fluctue selon les circonstances : autorisé à 39 millions par la Direction générale des marchés publics, mais signés à 29 millions de dollars, sans que l’on ne comprenne le pourquoi de cet écart.

Mais cette signature n’est que la pointe de l’iceberg. Le cœur du scandale se trouve dans l’ingérence illégale de Jules Alingete dans la répartition des fonds.

Alingete, le chef d’orchestre du contournement institutionnel

Remontons au début de l’affaire. Les points essentiels de l’Arrêt de la Cour internationale de Justice (paragraphes 405–409) du 9 février 2022 (Affaire RDC c. Ouganda – réparations) disposent :

1. Montant global des réparations : L’Ouganda doit verser à la RDC 325 000 000 USD au titre des préjudices causés par ses actes illicites. 

2. Ventilation par type de préjudice :

  • 225 M USD pour les dommages personnels (personnes), soit 69,23% ;
  • 40 M USD pour les dommages matériels, soit 12,3% ;
  • 60 M USD pour l’exploitation illégale des ressources naturelles, soit 18,46%.

3. Calendrier de paiement

Le montant sera versé en cinq annuités égales de 65 millions USD, de 1er septembre 2022 à 1er septembre 2026. 

En interne en RDC, c’est le Décret n° 19/20 du 13 décembre 2019 portant création, organisation et fonctionnement du Fonds spécial de répartition de l'Indemnisation aux Victimes des activités illicites de l'Ouganda en République Démocratique du Congo ou à leurs ayants droit, en sigle "FRIVAO" qui va régir cette matière. 

Signé par le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilumkamba avec le contreseing des ministres de la Justice Célestin Tunda ya Kasende, et des Finances Sele Yalaghuli, il dispose à l’alinéa 2 de l’article 4 : « Il (FRIVAO) gère en toute indépendance, équité et transparence tous les fonds alloués à la République Démocratique du Congo, à titre de réparation des préjudices dus aux activités illicites de l'Ouganda sur le territoire congolais ». Et à l’alinéa 3 du même article il est indiqué que le Fonds a notamment pour tâches de « percevoir l'intégralité des fonds alloués à l'indemnisation des victimes ».

Le cœur du problème remonte au moment où Jules Alingete s’est immiscé dans cette affaire pour décider de la répartition des fonds reçus de l’Ouganda. Ici apparaît le rôle particulièrement nocif de M. Jules Alingete Key. Son rôle se nocif pour la suite des événements.  

Répartition frauduleuse et ouverture d’un compte secret, le nouveau piège d’Alingete

Si ces dispositions sont parfaitement claires et ne sauraient faire l’objet d’aucune controverse, Jules Alingete va les violer allègrement, sans le moindre gène. 

En effet, par sa lettre référencée 2014/PR/IGF/IGF-CS/JAK/NMM/2024 du 2 octobre 2024, M. Alingete décide de la répartition des fonds versés par l’Ouganda de la manière en introduisant des prétendus ‘‘frais de gestion de 5%’’ attribués au cabinet du ministre de la Justice sur le montant global payé par l’Ouganda. Sur le total de 195 millions déjà versés par Kampala, ce sont donc 9,7 millions qui ont été engloutis dans cette rubrique fumeuse et dont nul ne connaît l’emploi à ce jour. L’arrêt de la CIJ n’a jamais prévu le versement d’une commission de 5 % au Ministère de la Justice. Le budget de l’Etat ne le prévoit pas non plus. 

C’est sur les 95% restants qu’il applique la répartition recommandée par la CIJ : 69,2% à la disposition du FRIVAO pour l’indemnisation des victimes ; 12,3% à la disposition du FRIVAO pour l’indemnisation des biens ; et 18,5% à la disposition du gouvernement pour l’indemnisation des ressources naturelles.

Ici aussi il y a une grave entorse à la loi, car le décret 19/20 fait du FRIVAO le seul gestionnaire de tous les fonds payés par l’Ouganda. Il n’y a aucune disposition qui permet qu’une partie de ces fonds soit détachée de la gestion de FRIVAO pour être placée sous gestion du gouvernement. L’argent devait être envoyé dans un compte du Trésor et ensuite intégralement reversé à FRIVAO (ce que le Min Fin de l’époque avait exigé en vain à sa collègue de la Justice) FRIVAO étant la seule instance, selon la loi congolaise, habilitée à gérer l’intégralité des Fonds reçus de l’Ouganda.

Et même alors, dans ce cas, Le compte ouvert par le Min Justice est un compte non reconnu par le Trésor, ouvert sans l’aval du Ministère des Finances et donc en violation de la procédure légale en la matière.

Aussi l’IGF n’a strictement aucune qualité pour décider de telles répartitions. «Le fait que l’IGF omet de copier les instances gouvernementales habilitées, à savoir le Président de la République, le Premier ministre, les ministres des Finances et du Budget, laisse penser qu’il y a une claire intention de détournement», assure une source proche du dossier. En effet, l’analyse des faits souligne plusieurs irrégularités majeures et des éléments pouvant nourrir une suspicion légitime de tentative de détournement et de manipulation institutionnelle.

La stratégie d’Alingete : un faux canal institutionnel

Le fait que la correspondance adressée en ampliation au Directeur de Cabinet du Président, au lieu du Président lui-même ou des instances gouvernementales concernées (Premier Ministre, Ministère des Finances, Ministère du Budget), trahit une volonté d’éviter le circuit légal. En effet, le Dircab, dépourvu de compétence décisionnelle en la matière, apparaît utilisé comme paravent ou relais administratif, sans fondement juridique.

De même, l’absence de copie à la Cheffe du Gouvernement (Première Ministre), pourtant garante de la coordination gouvernementale, aggrave cette violation des usages institutionnels. Ici, la tentative d’engager le gouvernement en dehors de la Première Ministre constitue une entorse grave au principe de la hiérarchie administrative. « Cela s’apparente à une manœuvre pour court-circuiter le Gouvernement et créer un engagement institutionnel occulte, susceptible de fragiliser ultérieurement la position du Dircab lui-même », confie un spécialiste.

Il faut aussi relever que la légalité financière a été gravement violée en ce qui concerne le rôle du Trésor et de FRIVAO. En effet, selon la procédure congolaise, les fonds dus par l’Ouganda devaient transiter obligatoirement par un compte du Trésor public, avant d’être ensuite transférés à la FRIVAO, seule entité légalement habilitée à gérer ces fonds. L’ouverture d’un compte parallèle par le Ministère de la Justice, hors du circuit du Trésor et sans validation du Ministère des Finances, constitue à la fois une infraction administrative, une violation manifeste de la loi sur les finances publiques et une infraction de gestion illicite de deniers publics.

En outre, il n’existe aucune base légale pour une commission de 5 %, car ni l’arrêt de la CIJ, ni la loi budgétaire congolaise ne prévoient une quelconque commission au profit du Ministère de la Justice. D’où l’idée d’un tel prélèvement est donc Illégal, non fondée juridiquement, et relevant d’une tentative d’appropriation indue de fonds publics. Enfin, il y a le rôle douteux de l’Inspection Générale des Finances – chef de service car il n’a aucune qualité pour autoriser, décider ou répartir les fonds. De même, son silence vis-à-vis des Ministères habilités (Finances, Budget) et du Premier Ministre, conjugué à l’absence de copie au Président lui-même, peut être interprété comme une volonté d’isoler le dossier dans un réseau parallèle de gestion et un stratagème de captation financière. Les comptes ainsi créés par le Ministère de la Justice n’ont jamais reçu l’aval du Ministère des Finances et ne sont donc pas connus Trésor ; ils violent aussi bien l’Arrêt de la CIJ que les textes régissant les comptes publics, ainsi que le Décret portant statut de FRIVAO.

A ce stade, la lecture de cette affaire met en évidence une stratégie concertée visant à éviter le circuit officiel de gestion des fonds, engager des instructions à travers un canal institutionnel non habilité et créer des marges de manœuvre discrétionnaires sur des fonds publics destinés aux réparations de guerre. Le Dircab du Président devient ainsi un risque juridique et judiciaire, exposé comme simple “renseignant” ou “facilitateur involontaire” dans une tentative de captation de fonds.

 Le faux projet de prison : une couverture grossière

Pour habiller le détournement, un projet bidon de construction de prison à Kisangani est initié. La société bénéficiaire ? Zion Construction, au capital de 5.000 dollars, sans personnel, sans adresse fiable, et jamais enregistrée auprès du ministère des Infrastructures. Le principal actionnaire, Willy Musheni, n’est autre que le bras droit d’Alingete à l’IGF. L’autre associée, une employée de banque burundaise, Ange Inamahoro, n’a aucune expérience en bâtiment.

La société fournit une fausse adresse, celle d’un appartement jamais loué à son nom. En vérité, le même immeuble était occupé par une société chinoise, Hong Feng, celle-là à laquelle Alingete avait confié la construction de l’IGF. Un enchevêtrement de conflits d’intérêts.

Mutamba, de son côté, débloque 19 millions de dollars pour ce marché truqué, et admet dans une lettre du 7 mai avoir demandé le suivi de l’IGF pour couvrir l’opération. Un aveu de complicité manifeste.

Une entente mafieuse au sommet

Entre Alingete et Mutamba, la frontière entre le contrôle et l’exécution s’efface. Le premier valide la violation des textes et couvre le circuit de détournement. Le second signe les décaissements et tente de blanchir les opérations par un simulacre de marché public.

Vers un procès à effet domino ?

En RDC, les fonds publics semblent pouvoir être siphonnés avec la complicité de ceux censés les protéger.  Le procès Mutamba est une opportunité cruciale pour la justice congolaise : briser le cercle de l’impunité ou confirmer l’existence d’une machine étatique de prédation. Dans les couloirs du Palais de Justice, l’enjeu n’est plus seulement judiciaire, il est moral et institutionnel. Car si le dossier s’arrête à un seul ministre, il passera à côté de l’implication d’un système entier, qui a sapé la justice réparatrice au profit d’un enrichissement personnel.

Le tribunal devra examiner les responsabilités de Jules Alingete, mais aussi les rôles des associés de Zion Construction, et tous les hauts fonctionnaires impliqués dans cette chaîne de décisions illégales. L’occasion est historique : restaurer la légitimité de l’Etat de droit ou confirmer l’enracinement d’un État prédateur.

 

 

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