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Pourquoi la Chine courtise l’Afrique ?

Pourquoi la Chine courtise l’Afrique ?

(Par Dr. Edouard Nsimba, Expert international en modélisation mathématique, analyse des politiques publiques et évaluation des risques liés au changement climatique)

Xi Jinping, le Président Chinois

*Depuis plusieurs mois, la presse audio-visuelle occidentale, particulièrement, la presse de droite, extrême-droite et néoconservatrice, dépeint avec une verve corrosive, une iconoclaste frénésie et un lyrisme très pataud la menace que représente l’alliance de l’Afrique et la Chine pour l’Occident. L’appel de la presse occidentale de droite n’est ni accidentel ni insolite, encore moins innocent. Il est calculé mais avoue paradoxalement le sentiment d’impuissance de l’Occident de contenir la poussée de la Chine en Afrique. Comme pendant la longue période de la guerre froide, la presse de droite recommande la constitution de l’Union Sacrée –entre les Etats-Unis et l’Europe- pour faire barrage à la montée de la Chine en Afrique.

La hantise de voir la Chine devenir une puissance économique, commerciale, scientifique et technologique mondiale ne date pas d’aujourd’hui. Rappelez-vous du livre : « Quand la Chine se réveillera, le monde tremblera » du brillantissime Alain Peyrefitte, publié en 1973 (Editeur : Fayard).

Mais, avant Peyrefitte, Napoléon Bonaparte avait déjà alerté le monde occidental du danger chinois. A la fin du 19ème Siècle (précisément en 1895), une bonne partie de l’intelligentsia Occidentale inventa le terme du « Péril Jaune » qui d’une manière simple veut dire : « les peuples d’Asie sous la houlette de la Chine vont surpasser les blancs et dominer le monde ». 

Le Chef de file –de ce China bashing (dénigrement)- n’est autre que Paul d’Estournelles de Constant, élu de la Sarthe à la Chambre des députés puis au Sénat entre 1895 et 1924, prix Nobel de la Paix en 1909 pour son action en faveur de l’arbitrage international.

Connu pour ses phrases loufoques et idées saugrenues, son gout prononcé de la litote et ses penchants pour le manichéisme absolu, le présentateur William James "Bill" O'Reilly, Jr, de la chaine américaine Fox News (media de droite et des néoconservateurs) déclarait qu’« après avoir eu peur que tout soit fabriqué en Chine, nous craignons maintenant que ce pays nous achète morceau par morceau ».

Ainsi, dans les médias occidentaux de droite, la Chine est responsable des déboires des économies occidentales, de la perte des emplois dans l'industrie du textile, métallurgie, sidérurgie, artisanat jusqu'à la flambée des prix du pétrole.

La vérité est à la fois simple et complexe. La montée en puissance de la Chine est un enjeu de taille et ce choc systémique –du point de vue géostratégique – est très redouté par les occidentaux.

Quand l’empire britannique (qui fit près d’un siècle la première puissance économique, culturelle, scientifique et militaire mondiale, qui occupa 25% du territoire de la plante terre) s’était disloqué et ruiné et ne pouvait plus assurer le leadership mondial, les Etats-Unis prirent la relève.

Le transfert du leadership mondial s’est fit à l’intérieur d’une même race (race blanche à prédominance Anglo-saxonne), d’une même religion (christianisme à dominance protestante), d’une même culture (la sacralisation de l’individualisme et de l’excellence), d’une même civilisation (judéo-chrétienne) et d’un même alphabet (synthèse des écritures cyrillique, grecque et germanique).

Si les chinois reprennent le flambeau du leadership mondial, pour la première fois dans l’histoire contemporaine, le leadership mondial passera d’une race à l’autre (race blanche à la race jaune), d’une religion à l’autre, d’une culture à l’autre, d’une civilisation à l’autre et d’un alphabet à l’autre.

L’éventualité que la Chine et avec elle l’Asie, ravisse le leadership mondial ne relève pas d’une platitude frivole, d’une fantaisie d’esprit mais des faits économiques et financiers avérés, vérifiables et palpables.

Au mois de février 2010, les statistiques ont révélés des chiffres qui dérangent : la Chine est désormais première exportatrice mondiale en détrônant l’Allemagne. La Chine est véritablement l’atelier du monde, elle fabrique déjà 60% des objets manufacturés du monde ; quasiment tous les vêtements, les jouets, l’électronique. La Chine –toujours elle- est depuis ce mois de février 2010 le premier producteur mondial des automobiles.

La Chine se spécialise aussi dans les industries de pointe à haute valeur ajoutée comme la télématique (alliage de la  télécommunication et informatique qui  accouche les supports médiatiques numériques et interactifs, les autoroutes de l’information et cyberespace), robotique (alliage de la mécanique, électronique et informatique), bio-industrie (alliage de la biologie moléculaire et la chimie), aéronautique (avions, hélicoptères et drones) sans oublier les autres technologies de pointe comme l’exploration spatiale (fusées, véhicules spatiaux).

Plus fort encore, la Chine est désormais la deuxième puissance économique mondiale en éjectant encore et toujours l’Allemagne et le Japon. Il y a un consensus sur les prévisions des Instituts de Recherche et d’Analyse Economique et de Perspective. Et ceci, quel que soit le mode de comparaison des PIB réels des différents pays : soit par la méthode de taux de change (on choisit une monnaie de référence –généralement le dollar américain- et une année de base) soit par la méthode de Parité de Pouvoir d’Achat (PPA).

Quel que soit la méthode de conversion adoptée, si la Chine maintient son taux de croissance du PIB réel actuel (9%), la Chine sera la première puissance mondiale en 2030. L’Amérique impériale rétrogradée à la deuxième place. Les pays européens y compris l’Allemagne ne feront plus partie de Top 10 des économies du monde. Les Etats-Unis seront bien seuls parmi les 10 premières économies mondiales.  Les pays émergents qui pèsent déjà 40% du PIB mondial ne feront certainement pas des cadeaux à l’impériale Amérique.

Le président B.H. Obama en a conscience. Lors de son discours en janvier 2010 sur l’Etat de l’Union, il l’a dit sans détour : les Etats –Unis n’accepteront jamais la deuxième place. Pour ce faire il faut reformater et améliorer le système d’éducation des Etats-Unis : accroitre l’enseignement des mathématiques depuis les lycées et développer les facultés de génie – à l’université- notamment les mathématiques supérieures appliquées, la science et la technologie.

La réponse de la Chine n’a pas tardé. Devant des étudiants chinois en télématique, l’ancien Président chinois Hu Jintao bombe le torse, roule les muscles et donne de la voix : « le 21eme siècle sera asiatique ou ne sera pas ». 

Dopé par leur fibre patriotique et porté par un orgueil nombriliste collectif, les étudiants –ces grosses têtes et futur haut cadres- applaudissent à tout rompre et crient très fort, portant leurs voix au paroxysme : « Rien, ni personne n’arrêtera la Chine ».

Rien, ni personne n’arrêtera la Chine ? Pas si certain. Car, la Chine,  puissance émergente soit-elle,  a beaucoup des défis à relever avant de détrôner les Etats Unis et prendre la première place comme leader mondial.

D’abord, la pression démographique. La Chine totalise une population estimée en 2009 à 1,34 milliards d’habitants. Malgré la politique de limite de fécondité (qui ordonne aux chinois de ne faire qu’un enfant par couple), la population chinoise continuera d’augmenter, bien que dans des proportions moindres.

Le véritable défi des planificateurs chinois est de nourrir la population. La Chine est un vaste pays avec 9,5 millions de km². Mais les terres arables représentent moins de 10% de la superficie totale du pays. L’agriculture chinoise est dualiste avec une agriculture d’exportation et une agriculture vivrière qui rivalisent pour les ressources (terre, capital humain, investissement, énergie, engrais, etc.). 

Le cheptel bovin est un autre casse-tête des planificateurs chinois. Certes, avec près de 482 millions de têtes, soit 3,2 fois plus que le cheptel européen, le cheptel bovin chinois compte pour plus de la moitié du cheptel mondial. Toutefois, ceci était possible quand le niveau de vie en Chine était faible. Avec l’élévation du PIB réel par tête, les chinois consomment beaucoup. Par exemple en 1980, un chinois consommait 14 kg de viande par an, en 2009 il en consomme 60 kgs.

Le deuxième défi des planificateurs chinois est d’accommoder une population qui s’ouvre à la société de consommation avec beaucoup d’avidité.  Fin décembre 2005, le Bureau d’Etat des Statistiques (BES) chinois a estimé que 562 millions de personnes vivaient en ville et 745 millions de personnes dans les régions rurales. Il y a des grandes disparités entre le niveau de vie des citadins et celui des ruraux.

Le troisième défi des planificateurs chinois est de diversifier la source de croissance économique. La croissance chinoise est tirée par la demande d’exportation. Toutefois, la crise mondiale de 2007-2008 a « déstabilisé » la Chine. Les principaux pays qui achètent les produits chinois sont les pays occidentaux –Etats-Unis en tête. Or ces pays ont réduit leur demande d’importation en réponse à la crise mondiale. Résultat : il a eu décroissance économique en Chine.

Alors, les planificateurs chinois peaufinent une nouvelle stratégie du développement. Ils veulent que la demande intérieure soit la force motrice de la croissance à parité égale avec la demande d’exportation. Seulement voilà. Bien que la Chine soit pourvue d’une bonne dotation en ressources naturelles, les énormes besoins de modernisation de la Chine nécessitent des ressources agricoles, minérales (bauxite, cuivre, étain, fer, zinc, etc.) et énergétique (pétrole).

Or, quel est le continent qui est le véritable réservoir de ces ressources ? L’Afrique bien sûr. Cependant, beaucoup des pays africains sont confrontés à des lancinants problèmes des balances des paiements, donc des devises. Comment promouvoir le commerce entre la Chine et l’Afrique dans des telles conditions ? Les planificateurs chinois ont trouvé l’astuce : le troc. L’argumentaire des planificateurs chinois est imparable. La Chine n’est pas en quête de devises. Elle est assise sur un matelas de devises. Déjà fin 2006, les réserves en devises étrangères se sont élevées 1066,3 des milliards des dollars américains. Et en mars 2010 les réserves de change de la Chine, les plus importantes au monde, ont atteint fin mars le montant record de 3440 milliards de dollars soit 1000 milliards de plus que la dette française.

La Chine est devenue la vache à lait ou le financier mondial. C’est elle qui finance une bonne partie des déficits budgétaires et dette publique des pays occidentaux.  Par exemple, le déficit budgétaire fédéral des Etats-Unis représente 10.8% du PIB nominal et sa dette publique avoisine les 100% du PIB. Pour financer son déficit et éponger sa dette publique, les Etats Unis « vendent » des bons de Trésor, obligations et bons de développement. La Chine, le Japon et les monarchies du Golfe persique achètent ces bons de Trésor. La Chine, à elle seule, détient 21% des bons de Trésor américains.

Pour revenir à l’Afrique, la Chine a conclu des trocs (matières premières contre investissement chinois). La presse de droite occidentale dénonce avec beaucoup de virulence les contrats chinois et se portent en défenseur de l’Afrique.  Il y à peine quelques années cette même presse « assassinait » l’Afrique en la présentant comme une succursale de l’enfer, un continent où il ne fait pas bon vivre, un continent maudit qui ne s’en sortira jamais, parce qu’inlassablement parcouru par les cinq démons de l’apocalypse : guerres civiles répétitives, pandémie hautement pathogène (SIDA, tuberculose, paludisme), famine, calamité naturelle et mauvaise gouvernance.

La presse occidentale de droite ne cherche pas à protéger l’Afrique, elle veut simplement empêcher la Chine de construire des « zones d’influence » qui vont la renforcer sur le plan géostratégique, géopolitique, économique et culturel.

L’hypocrisie de la presse occidentale de droite n’est plus à démontrer. Elle est simplement pathologique. Tenez. Tous les responsables occidentaux – à commencer par les présidents- font le pèlerinage en Chine et s’inclinent devant les dirigeants chinois. Des marchés juteux sont conclus et sont largement médiatisés. Dès lors, pourquoi l’Afrique n’a pas le droit de traiter avec la Chine ?

Au finish, il appartient aux africains de définir un cadre de coopération équitable avec la Chine. Il n’y a que trois scenarios possibles :

1. Soit la coopération Afrique-Chine est un jeu à somme nulle (l’Afrique gagne, la Chine gagne).

2. Soit un jeu à somme positive (l’Afrique gagne et la Chine perd)

3. Soit un jeu à somme négative (l’Afrique perd, la Chine gagne)

La Chine jure la main sur le cœur que c’est un jeu à somme nulle : gagnant-gagnant. Il appartient aux africains de s’assure qu’ils ne sont pas exploités par la Chine –l’Empire du Milieu. Mais les africains –les vrais- ne doivent pas s’appuyer sur les prescriptions occidentales. Peut-on faire confiance aux hypocrites occidentaux ? 

Du Président Obama à la Chancelière Merkel en passant par Hollande, pourquoi se rendent-ils en Chine et signent des contrats avec elle ? Pourquoi ne dénoncent-ils jamais le droit de l’homme, le manque de la démocratie et le système policier chinois ?

Réponse simple : Les faramineux contrats chinois valent plus que le droit de l’homme….

(N.B : cet Article publié depuis mai 2010)*

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